La duchesse du Beauvaisis ou la République transparente

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Camille Lefèvre

L’autre jour, j’ai demandé à ma copine Isabelle si elle avait des nouvelles de l’affaire Caroline Cayeux. Avant de me répondre, elle m’a confié en riant qu’elle la surnommait la duchesse du Beauvaisis, depuis qu’elle a appris que l’ancienne maire de Beauvais est riche d’au moins 24 millions d’euros (Journal Libération du 1er juin 2023). Ce n’est pas pour autant qu’il faut voir le mal partout, a-t-elle ajouté. Il n’y a pas forcément anguille sous roche et la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) est peut-être montée un peu vite sur ses grands chevaux. Rappelons qu’en novembre 2022, cette dernière avait avisé le procureur de la République du fait  que la déclaration patrimoniale de Madame Caroline Cayeux, alors maire de Beauvais, « comportait d’importantes minorations de la valeur de ses biens, de l’ordre de 2. 400. 000 euros pour sa résidence principale située à Paris et 1. 500. 000 euros pour une maison située en Ille-et-Vilaine, soit une minoration d’environ la moitié de la valeur globale de ces deux biens » (communiqué de presse du 29 novembre 2022).

Ni une, ni deux, je me suis jeté sur leur site internet. D’emblée, la page d’accueil m’a rassuré, j’étais bien dans l’entrée d’une enceinte sacrée de la moralité publique : «  La Haute Autorité est une institution indépendante. Elle est chargée de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics, de contrôler la déontologie de certains responsables et agents publics, d’encadrer le lobbying et de diffuser une culture de l’intégrité. Elle mène également des actions de coopération avec la société civile et des actions à l’international pour faire connaitre son action et partager ses bonnes pratiques. » Un frisson m’a parcouru, mêlé de fierté et d’excitation, et j’ai commencé ma première recherche sur leur site. J’aurais dû taper « Caroline Cayeux »,  mais une pensée coupable m’a fait taper « Éric Woerth ». Député de l’Oise, très longtemps maire de Chantilly, ce monsieur aussi affable que distingué m’avait dit un jour, dans une soirée mondaine de la bourgeoisie cantilienne : « Vous savez, il y a des gens avec les yeux bleus, d’autres avec les yeux marrons, il y a des pauvres et il y a des riches » . Entre le moment où est créée la HATVP, en 2013, et celui où la Cour de cassation confirme le non-lieu dans l’affaire dite de l’hippodrome de Compiègne, en 2021, il se passe un certain nombre d’épisodes judiciaires. Si la HATVP présente bien une fiche au nom de l’ancien ministre du Budget, qui énumère une série d’activités et d’intérêts professionnels, celle-ci ne fait aucune mention de l’affaire, pour laquelle Éric Woerth avait été soupçonné de “favoritisme” et de “prise illégale d’intérêts”. Circulez, braves gens, il n’y a rien à voir, semble nous suggérer en substance la rubrique Observations qui clôt ladite énumération. En effet, cette dernière est d’une exemplaire sobriété, par sa mention : « Néant » .

La poussée d’adrénaline est malheureusement retombée aussi brutalement qu’elle était montée, comme un soufflé raté.  Avec appréhension, j’ai alors tapé : « Caroline Cayeux ».  Comme dans ma recherche précédente, deux onglets étaient à ma disposition : INTÉRÊTS et PATRIMOINE. J’ai cliqué sur patrimoine. Chou blanc. J’ai alors appris que la transparence sur le sujet ne concerne finalement que les membres du gouvernement et ceux du collège de l’Autorité elle-même, ce qui éloigne un bon paquet de serviteurs de l’Etat du regard suspicieux du gendarme public. Par ailleurs, il n’y avait encore absolument rien sur l’affaire qui nous occupe. J’ai entendu de loin trépigner avec moi toute la société civile. Le temple de la Transparence, tu parles !  Une  grosse coquille, plutôt, brillante à l’extérieur, et plutôt bien creuse au-dedans. Je ne comprends pas. Je décide alors d’entrer en contact avec leurs services. Une page de contacts m’apprend que les responsables publics ont droit à une assistance téléphonique, tout comme les représentants d’intérêts. Quant aux citoyens lambda, ils devront se contenter d’une simple adresse mail. Reste le numéro du secrétariat, qui, en toute transparence, bien sûr, devrait pouvoir me permettre de parler à différents professionnels de l’intégrité,  prêts à éclairer ma lanterne. Allez, je me lance !

Déçu, décu. Vraiment. Je m’étais fait une joie de parler à des personnes éprises du Bien commun et empressées de partager le fruit de leur travail avec le simple citoyen que je suis, et voilà qu’on me faisait douter de tout plein de belles paroles et de belles promesses.  Ceci dit, rendons à César ce qui est à César. Sur le site de la Haute Autorité, toujours, on trouve sous l’onglet : INTÉRÊTS  déjà cité, quelques renseignements qui ont attiré mon attention.  Je savais déjà que des gens pouvaient avoir plusieurs emplois pour arriver, autant que faire ce peut, à boucler leurs fins de mois,  mais j’ignorais que cette pratique n’était pas seulement réservée aux pauvres. Ainsi, madame Caroline Cayeux, entre 2017 et 2022, a exercé contre rémunération  des activités aussi diverses que celles de maire (de 9033 € annuels net en 2017 on passe à….24551 € l’année d’après !), de Présidente d’Agglomération du Beauvaisis (de 28018 € à…40494 € pour les mêmes années !), de ministre (44291 € pour 2022), de Gérante de société ( ?) pour 12.000 € et enfin, de Conseillère municipale (pour 872.50 en moyenne). Dans le même temps, son bas de laine en actions, sans prendre de la bedaine, grossissait un peu : Novo Nordisk B, Air Liquide, L’Oréal, LVMH Moët Vuitton, Schneider Electric, TotalEnergies, etc. 

Vous avez dit énergies fossiles ? Écologie ? Changement climatique ?

Aux multiples fonctions rémunérées, et pour la même période, il faut ajouter d’autres tâches encore  plus nombreuses, officiellement bénévoles et gracieuses qu’a occupées l’ex-ministre déléguée chargée des collectivités territoriales : co-gérante de SCEA, gérante de la SCAFP, du Groupement Forestier,  exploitante agricole,   président (sic) du Conseil d’Administration de la SA HLM du Beauvaisis, de Villes de France, du Conseil d’Administration du Syndicat Mixte de l’Aéroport de Beauvais, présidente du Conseil de surveillance de l’Hôpital de Beauvais, du Pôle Métropolitain de l’Oise, de l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT), de l’Office du tourisme de l’agglomération du Beauvaisis, ou encore, administratrice de l’Institut de la gestion déléguée et de la SA HLM du Département de l’Oise. 

On le voit bien, comme tant d’autres grands serviteurs de l’Etat, Caroline Cayeux semble dotée d’une force de travail phénoménale, à faire pâlir le bon vieil Héraklès lui-même. Elle aurait pu se contenter de ses beaux héritages pour vivre une vie dorée, mais non, elle a choisi courageusement de travailler, travailler inlassablement, de plus en plus au service du bien commun. Mais pourquoi diable  laisse-t-on nos responsables politiques s’épuiser à la tâche, au lieu de les soulager en partageant avec d’autres leurs écrasants fardeaux ?  Ceci étant,  la communauté remercie généreusement, nous l’avons vu,  ces efforts de titan, et c’est tout naturel. De plus, il n’y a pas de raison que nos politiques ne s’appliquent pas à eux-mêmes  la devise tant prisée en son temps par le président Nicolas Sarkozy  : Travailler plus pour gagner plus. Mais voilà, « malheur en politique à qui est riche » rappelle Guillaume Tabard du Figaro, dans ses « Quelques réflexions sur l’affaire Cayeux « Avoir des biens, reçus par héritage ou acquis par son travail est mal vu ; donc honteux. Et après tout, pourquoi la transparence irait-elle à mettre sur la table tout ce qui relève de votre vie personnelle, familiale, privée ? » (op. cité).

C’est vrai, bon sang, pourquoi on ne fout pas la paix aux riches, une bonne fois pour toutes ?  Laissons-les profiter de leur argent honnêtement gagné et arrêtons de leur chercher des poux dans la tête à la moindre occasion !

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